Serge Labrosse: Le Journal de Montreal – May 5, 1994
Deux mères de famille aventureuses ont décidé de quitter le confort douillet de leur maison Cie banlieue et de laisser derrière elles mari et enfants, pour aller trotter une année entière autour du globe, sans autre bagage qu’un sac il dos, il! la recherche de sensations fortes, d’exotisme et de dépaysement!
Elles ont toutes deux 46 ans et ont élevé sagement leur petite famille pendant des années. Elles sont surtout deux grandes copines. Leur histoire est celle d’une longue et beUe amitié qui dure depuis 33 ans.
Sharon Taylor-Paquette habite Chambly. Elle a deux grandes filles de 18 et 20 ans, travaille pour Coiffure En-Tête à Saint-Hilaire et comme agent extérieur pour Voyage-Action de Beloeil.
Barbara Désormeaux••Campbell a elle aussi deux fIlles, âgées de 24 et 27 ans. Elle réside à Saint-Hubert et travaille comme serveuse à l’hôtel Sheraton du centre-ville de Montréal.
Début juin, elle s’envoleront vers la Grèce, premier port d’escale d’un voyage qui durera 12 mois.
Après un bref séjour au Moyen-Orient, elles plongeront tantôt au coeur de l’Afrique- en plein safari – .. s’enfonceront dans J’Asie profonde et exploreront les mystérieux sommets du Tibet.
En Inde: elles s’attarderont durant l’hiver à Goa, cette enclave dans les montag;nes où se réfugiaient volontiers les hippies des années soixante.
Après avoir traversé la Chine et visité sa célèbre muraille, nos voyageuses feront un passage en Thaïlande, puis descendront l’archipel indonésien, faisant escale en Malaisie et à Singapour. Puis elles remonteront à Hong-Kong, pour ensuite traverser au Japon et s’accorder enfin «un temps de repos absolu» à Honolulu (Hawaï), avant le retour au bercail prévu pour … juin 1995
Sharon et Barbara sont tout excitées à l’idée de cette aventure.
Elles savent cependant qu’il leur sera difficile de s’arracher à leurs familles, au moment du départ.
Déjà, elles ont fait leurs adieux «officiels» lors d’une grande fête familiale qui réunissait en un même endroit, il y a quelques jours. une cinquantaine de personnes.
Ce n’est pas la première fois qu’elles partent seules à l’aventure. Elles ont visité l’Ouest du Canada, ont voyagé seules à travers les Rocheuses et se sont avènturées jusqu’en Amérique centrale, notamment au Guatemala. Sharon s’est aussi exilée un mois en Espagne et au Portugal.
Leur amitié est solide, affirment-elles, et leur « vieille complicité», croient-elles, a peut-être plus de chance de résister aux rigueurs du voyage que celle d’un couple mari et femme …
Égoïstes, Sharon et Babara? Mauvaises épouses?
Mères ingrates?
Elles ont tout entendu, depuis qu’elles ont fait part à leur entourage de leur idée de partir à l’aventure.
Si elles étaient restées confinées dans le rôle que leur impose la société, disent-elles, elles seraient sans doute à la maison, à repriser des chemises …
«Mais nous ne sommes pas que les femmes de nos maris et les mères de nos enfants, explique Barbara. Nous sommes aussi des femmes avec leurs personnalité et ce que ça comporte d’ambitions.»
Sharon, elle, préfère parler d’«indépendance».
«Si j’étais égoïste, dit-elle, je ne reviendrais probablement qu’au moment oùje me sentirais complètement satisfaite et comblée. Je fais un compromis, dit-elle en riant: je ne pars qu’un an!»
«Notre plus grande crainte, c’est d’attraper une maladie durant le voyage. Pour le reste, nous nous laisserons porter par le vent ••• »
Sharon Taylor a beau aimer l’aventure, elle souhaite évidemment ne pas rencontrer trop d’obstacles sur sa route.
Elle et Barbara ont reçu tous les vaccins nécessaires avant le départ, mais les pauvres conditions d’hygiènes dans lesquelles elles se retrouveront forcément, puisqu’elles ont décidé de ne pas s’attarder dans les grandes villes, leurs vaudront bien quelques inconvénients
«Nous avons rencontré un Mie-Mac qui a lui-même beaucoup voyagé à travers le monde pour la réalisation
de films documentaires. Il nous a dit que nous apprendrions certainement à prendre une «douche» sans eau, avec une simple serviette de papier humide comme celles avec lesquelles on se nettoie les doigts dans les restaurants!»
Sharon et Barbara logeront dans de modestes auberges et chez des familles d’accueil. Les guides de voyage qu’elles apportent avec elles seront leur bible, à cet égard, au cours de ce long périple.
Elles disent toute.s deux ne pas craindre pour leur sécurité.
Sharon se dit impulsive, mais Barbara, en revanche, est plus prudente de nature.
Leur bagage tiendra dans deux sacs à dos: un filtre et un petit brûleur pour rendre l’eau potable au besoin, un sac de couchage ultra-léger (moins d’un kilo!) pour éviter les lits infestés de punaises, s’il s’en trouve – on couchera alors sur le plancher, dit Sharon!
Par aileurs, «très peu de vêtements, qu’on lavera à mesure et qu’on s’échangera d’ailleurs, disent-elles, puisqu’on est de la même taille».
Un nécessaire de premiers-soins, aussi, un Anorak et un Polar.
Pour assurer leur pitance, leurs déplacements locaux et leur hébergement, Sharon et Barbara ont prévu 20000 $ chacune – 50 $ par personne par jour, en moyenne; de l’argent dont elles s’approvisionneront dans les banques, au fil du voyage, sans jamais en garder sur elles en grande quantité, bien entendu.
Et si, par mégarde, l’argent venait à manquer?
«Je suis serveuse, répond Barbara, je réussirai bien à me débrouiller.»
«Je couperai les cheveux des gens sur la plage, répond Sharon, la coiffeuse. J’apporte d’ailleurs mes ciseaux», dit-elle, très sérieuse.
Pour ne pas s’encombrer, les deux amies feront régulièrement parvenir par bateau, au Canada, les souvenirs qu’elles se procureront durant le voyage. Elles retourneront même les articles dont elles n’auront plus besoin, au fil de leurs déplacements.
Ainsi préparées, Sharon et Barbara sont prêtes, maintenant, à se rendre au bout de leur rêve … Au bout du monde!
Un rêve qui remonte à l’enfance
Toutes petites, Sharon et Barbara cultivaient déjà le goût de l’aventure, de l’inconnu et du voyage …
«Il y a quelques jours, raconte Sharon, lors d’une fête avant mon départ, ma mère m’a remis une carte.
«Lorsque tu avais deux ans, y a-t-elle écrit, tu es partie sur la rue, tes vêtements sous le bras et tes sandales aux pieds .. J’aurais dû savoir, déjà, que tu serais un jour globe-trotter!
«Mon grand••père m’a aussi raconté, dit-elle, qur j’adorais, toute jeune,m’asseoir sur ses genoux et regarder avec lui ks belles images de pays lointains, publiées dans le National Geographie. »
Dès la maternelle, Barbara, elle, était impressionnée par les contes qui évoquaient de mystérieuses contrées africaines . Barbara et Sharon verront bientôt leur rêve se réaliser. Elles voyageront en avion et par bateau et par autobus, bien sûr, mais aussi à dos de chameau et d’éléphant.
Et les histoires exotiques qu’elles lisaientjadis, les si belles photos qu’elles se plaisaient tant à regarder avec envie, peut-être un jour les publieront-elles dans un livre, elles-mêmes, se plaît à imaginer une Sharon toujours aussi rêveuse …